Hello à tous,
Nous venons vers vous aujourd'hui avec le dernier sujet d'article en lien avec la campagne cantonale l'Education donne de la Force qui abordera cette fois-ci la thématique des conflits dans la fratrie.
Lorsque nous vous avons sollicités sur le thème de la fratrie, les questionnements qui ressortaient le plus concernaient la problématique des conflits. En effet, ceux-ci mettent notre patience à rude épreuve. Quelle énergie folle nous utilisons à comprendre comment agir. Faut-il intervenir ? Faut-il laisser faire ?Comment gérer les frustrations et la violence ? Quelle est la bonne attitude à adopter comme parents ?
Pour vous parler de ce sujet et répondre à vos questions, nous laissons la parole une fois de plus, aux divers professionnels de l'éducation avec qui nous collaborons.
La fratrie
En ce qui concerne les conflits entre frères et soeurs, vous serez d'accord avec nous pour dire qu'il n'est pas toujours facile de trouver de bonnes stratégies. Et ce d'autant qu'il n'existe, bien entendu, pas deux fratries identiques et que les relations évoluent constamment. Vous qui nous suivez depuis plusieurs articles, vous savez qu'il n'existe pas de " recette miracle ", même si nous aimerions parfois avoir recours à une " baguette magique. " ;-) Mais à travers vos questions, selon le type de conflits mais surtout en fonction de leur intensité, nous aimerions présenter quelques concepts qui peuvent nous aider à nous maintenir en équilibre sur cette corde périlleuse de la gestion des conflits.
Comme parent, on rêve souvent d'une famille idéale avec des relations chaleureuses, bienveillantes et où les enfants, comme dans certains films, peuvent jouer ensemble, calmement pendant des heures, en se partageant leurs jouets ... Oui, mais la réalité est différente et la famille est d'abord et surtout un magnifique laboratoire pour vivre des expériences, où le bonheur d'être ensemble est " pimenté " par des conflits de diverses intensités. Chaque enfant va devoir trouver sa place dans le système familial, avec ses plus ou moins grandes attirances envers certains membres de sa famille mais aussi avec les particularités de chaque personne qui la compose. Ces relations diversifiées permettent à chaque membre de pouvoir se différencier et de devenir un individu à part entière. Cela nous demande aussi comme parent de faire en partie " le deuil " de LA famille rêvée et d'accepter une réalité plus complexe.
La première étape est donc d'accepter que nos enfants ne s'entendent par forcément toujours bien et sont en rivalité, à l'instant T. Il est normal que leurs comportements fluctuent et nous déstabilisent parfois. Quel que soient leur âge ou leur rang dans la fratrie, les enfants ressentent souvent des sentiments ambivalents envers leur frère ou leur sœur (de l'amour faisant place soudainement à de la haine, de l'attirance mais quelque fois de la colère ou de la jalousie, ...). Tous ces sentiments sont légitimes et ont le droit d'exister. Comme parent, il nous appartient de décoder et d'admettre ces sentiments. Toutefois, tous les comportements ne peuvent pas être tolérés: il nous appartient donc de pouvoir poser des limites claires, lorsque la situation l'exige. Nous y reviendrons plus en détail plus bas.
Dans les familles avec plusieurs enfants, l'amour et les sentiments se décuplent, mais le temps, lui, n'est pas extensible. Notre disponibilité pour chaque enfant diminue selon leur nombre et selon les activités que nous devons mener en parallèle. La journée continue cependant à ne contenir " que " 24 heures. Dans le cas par exemple d'une nouvelle naissance, il est normal que le parent prenne plus de temps pour le nouveau-né avec ses besoins spécifiques qu'avec le ou les plus grands qui ont déjà gagné en autonomie. On peut se sentir coupable de ne pouvoir être plus présent pour le/les plus grands qui manifestent eux aussi des besoins d'attention. Une des solutions qui pourrait nous aider dans une telle situation est de se demander: " De quoi a besoin mon enfant à son âge ? ". Cela nous permet ensuite de communiquer avec le grand frère ou la grande sœur " Ta petite sœur de 6 mois a besoin de plus d'aide pour s'endormir : je dois la bercer, lui chanter des chansons pour l'aider à se calmer. Mais toi, tu aurais envie qu'on prenne le temps ensuite de lire un livre tous les deux ? "
Des formes de jalousie peuvent alors se manifester. Comment comprendre ce sentiment qui dérange à la fois les parents mais aussi l'enfant qui le ressent?Premièrement, en considérant que la jalousie est naturelle, notamment dans la fratrie. Cette sorte de " compétition humaine " est au cœur de toute relation. La fréquence et la force de la jalousie sont souvent augmentées dans le milieu familial où la cohabitation et les liens étroits intensifient les relations.
Il s'agit de considérer la jalousie comme un besoin d'amour ; l'enfant peut par exemple être désécurisé par les changements familiaux, tels la naissance d'un petit frère ou d'une petite sœur. C'est donc à la famille de le rassurer, de lui accorder de l'attention pour remplir son " réservoir d'amour " (I. Filliozat, " J'ai tout essayé "). Lorsque le besoin de sécurité émotionnelle de l'enfant est satisfait, on observe souvent une diminution de la jalousie. A nous parents de trouver comment donner du temps individuel de qualité, puisque la quantité sera nécessairement limitée.
Un autre point qui nous parait important : c'est de cultiver la différence et de comprendre que notre relation avec chacun de nos enfants est forcément différente. L'amour est là oui, mais on a des manières différentes d'entrer en relation avec chacun de nos enfants. Si on désire décompter le temps passé avec chaque enfant et rechercher l'égalité à tout prix, on aura tendance à faire augmenter la jalousie car l'enfant se sentira " pris " dans cette comparaison. On pourra par exemple dire : " Oui j'aime beaucoup quand ton frère vient m'aider à faire la cuisine car il apprécie beaucoup ça ... mais avec toi c'est différent et j'ai beaucoup de plaisir à aller me promener et à observer les insectes! Et je vous aime tous les deux très fort ".
Réponses à vos questions
Comment gérer les bagarres quotidiennes ? Faut-il laisser gérer aux enfants ou intervenir régulièrement ? Faut-il intervenir lors des conflits des enfants ? Lorsqu'on entend qu'ils n'arrivent pas à trouver une solution seuls, ou que chacun campe sur ses positions ?
Ce qui peut aider le parent à choisir son positionnement est de différencier trois types de conflits qui se distinguent par leur intensité : les chamailleries, les disputes et les grosses bagarres.
Lorsque deux enfants se chamaillent, ils se taquinent, se cherchent ou peuvent faire semblant de se pousser. Dans la boîte à questions, une maman expliquait que lors de conflits, elle n'intervenait pas toujours et qu'elle laissait ses enfants se débrouiller. Dans ce cas-là, il semble bénéfique de les laisser faire et de les laisser se chamailler car à travers le jeu et le corps, les mouvements d'affirmation de soi et d'agressivité s'expriment ; l'enfant peut alors les laisser exister (sans que cela ne dépasse certaines limites, bien sûr :- ) .
Les disputes surviennent souvent lors de petits événements, par exemple lorsque deux enfants veulent le même jouet ou alors qu'un des enfants s'énerve car son frère ou sa sœur a fait tomber sa tour. Dans ce cas-là, si le conflit ne se règle pas tout seul, le parent peut intervenir comme " médiateur ". Une des stratégies est par exemple de décrire la scène : " Je vois deux enfants qui veulent le même objet : Marie, tu pleures car tu aimerais beaucoup l'avoir alors que toi Lucie, tu es partie le cacher à un endroit du salon. Quelle solution vous pourriez trouver pour que ça se passe bien ? Moi j'en ai une : je peux enlever l'objet mais je ne pense pas que vous préférez cette solution. Alors je pars un petit moment et si vous avez besoin de moi, vous pouvez m'appeler, d'accord ? ". Bien sûr que notre réponse dépendra de l'âge de l'enfant et de sa façon de gérer ses émotions et qu'il faudra de nombreuses expériences et répétitions pour que les enfants intègrent qu'ils peuvent trouver eux-mêmes des solutions pour gérer un bout du conflit. Mais comme dans tous les domaines du développement, l'enfant aura besoin de soutien, de répétition pour intégrer les choses.
Dans le cas de grosses bagarres, par exemple lors de coups, d'injures, de gros mots, il est important que le parent intervienne directement. Ce dernier type de conflit peut d'ailleurs faire partie d'une des règles importantes de la famille " les coups et les injures sont interdits " pour tous les modes, autant pour les enfants que les adultes car c'est un interdit sociétal.On peut par exemple, écrire les règles communes de la famille sur une feuille à la vue de tous et les formuler ensemble. Et lorsque quelqu'un enfreint une règle, on peut s'y référer pour la lui rappeler. Il est important de fixer 3 GRANDES règles (mais pas plus !) qui ne sont jamais négociables (exemple : les coups sont interdits) contrairement aux petites règles qui peuvent être négociables selon les jours (in compétences des familles G. Ausloos). Par exemple : on mange normalement le souper à table mais pour des soirées " spéciales ", on peut faire un plateau-repas sur le canapé.
Quels outils proposez-vous lors d'une altercation dans une fratrie ?
Comme adulte on a deux manières de réagir lors d'un conflit entre deux enfants. Soit on va intervenir comme un arbitre en disant qui a tort et qui a raison. C'est ce qu'on peut appeler une réaction par jugement. Par exemple : " Ton petit frère a aussi le droit d'être dans la pièce alors si tu veux avoir l'espace pour toi toute seule, tu prends tes affaires et tu vas dans ta chambre ". Dans ce cas-là, on va donner raison au plus petit et dire que le grand a tort. L'autre type de réaction qui existe et qui permet, selon les études, de limiter la rivalité dans la fratrie est la réaction par modération. Le parent devient le médiateur, le modérateur comme dans l'exemple cité plus haut. On va décrire le conflit sans jugement et parler des émotions de chacun et les aider à trouver une solution qui convienne à tous les deux. On pourra dire par exemple " Qu'est-ce qui pourrait vous convenir à tous les deux ? On va essayer de trouver une solution qui vous convienne aux deux et qui soit ok pour vous deux. " En conclusion, en sortant de qui a eu tort, qui a raison ou de la dynamique victime/agresseur, on tend à faire diminuer les conflits et la rivalité au sein de la fratrie.
Au niveau non-verbal, ce qui peut aussi aider c'est de se mettre à hauteur des enfants pour leur parler car notre parole aura plus d'impact ; on peut aussi avoir un contact physique avec les deux en même temps (une main dans le dos, leur toucher la main) car cela va amener un peu d'apaisement.
Est-ce que chaque enfant doit avoir ses jouets et les prêter à l'autre ou faut-il favoriser les jeux qui appartiennent à tout le monde ?
La solution qui paraît la plus simple, de prime-abord est de différencier les jouets pour chaque enfant. Elle n'est toutefois pas la plus économique, en argent et en énergie pour les parents. Elle comporte le risque de positionner le parent en juge ou en policier qui sera enfermé dans le rôle de faire régner l'ordre et la claire séparation de la propriété.
Le fait de favoriser les jeux qui appartiennent à tout le monde paraît la solution la plus pétrie de bon sens et de sociabilité. Elle permet aux jouets d'évoluer en fonction de l'intérêt, de l'âge de l'enfant et autorise les plus grands à revenir vers des jouets auxquels ils ont joué quand ils étaient plus petits et aux petits de grandir par le jeu, en les partageant avec ses frères et sœurs plus âgés. Chaque jouet peut être utilisé de mille façons et le partage favorise la créativité, la relation sociale, les rires et les échanges au sens général. De plus, comme nous l'avons vu plus haut, même la chamaillerie, voire les disputes et la frustration sont source d'apprentissage de la vie en société.
C'est aussi l'occasion pour l'adulte de créer un espace-jeux qui permet de gagner du temps, en étant présent à tous ses enfants en même temps. Chacun est occupé en fonction de ses intérêts, soit dans un jeu solitaire, soit partagé, en ayant une oreille et un œil attentifs à ce qui se passe dans la pièce. Seul ou en groupe, l'enfant est rassuré et stimulé par la présence de l'autre.
En conclusion à ce thème et comme mentionné plus haut, la fratrie est une mini-société où l'amour n'empêche pas l'existence de conflits. C'est même la première société rassurante que connait l'enfant et là où il va apprendre les règles extérieures. Comme parent, il nous appartient de favoriser la manifestation de tous les types de sentiments en assurant un cadre bienveillant. Comme il n'est pas toujours aisé de trouver la position adéquate au bon moment, se laisser le temps de la réflexion et s'autoriser à revenir plus tard avec l'enfant sur ce qui s'est déroulé apporte souvent un apaisement pour l'adulte comme pour l'enfant.
- Livre " relations frères-sœurs " de Catherine Dumonteil-Kremer
- Livre Le manuel de survie des parents - Des clés pour affronter toutes les situations de 0 à 6 ans de Héloise Junier
- Livre " La compétences des familles. Temps, chaos, processus " de Guy Ausloos (2010)
- Podcast " La Matrescence " de Clémentine Sarlat
Nous remercions chaleureusement l'équipe du service cantonal de la jeunesse pour cette jolie collaboration et nous espérons que celle-ci vous a apporté des pistes et peut-être quelques clés pour ces situations du quotidien qui nous questionnent en tant que parents.